DÉSERTS (VIE DANS LES)

DÉSERTS (VIE DANS LES)
DÉSERTS (VIE DANS LES)

La tradition veut que les espaces arides soient vides et hostiles. Mais le désert émerveille sans cesse le naturaliste en raison des prodiges réalisés par les êtres vivants pour s’y maintenir en dépit de conditions extrêmement rigoureuses. Le caractère le plus évident pour définir un désert est son aridité; c’est aussi celui qui conditionne le plus sévèrement la moindre manifestation de vie, car la vie ne peut se passer d’eau. À cette aridité viennent s’ajouter la température généralement élevée – bien qu’elle puisse aussi être très basse dans les déserts froids de l’Asie centrale –, une insolation intense et des vents réguliers. De plus, les sols désertiques sont généralement imprégnés de sels de sodium, de potassium et divers minéraux solubles. Si les végétaux se sont véritablement adaptés à ces différents facteurs par une transformation profonde de leurs structures anatomiques, la plupart des animaux se contentent de «tricher» avec les conditions désertiques en modifiant leur comportement. C’est ainsi que l’homme, absolument inadapté physiologiquement et anatomiquement au désert, a trouvé le moyen d’y vivre depuis les temps les plus reculés de la préhistoire.

1. La végétation

À l’exception de quelques espèces situées près des points d’eau, les végétaux du désert sont obligés de recourir à un ensemble d’adaptations pour lutter contre l’évaporation que tendent à accroître la sécheresse atmosphérique, les températures élevées et les vents souvent violents. Ceux-ci jouent encore un rôle important par les particules qu’ils transportent et les remaniements qu’ils provoquent dans le sol. Pour y résister, les plantes s’enracinent profondément ou s’étalent à la surface du sol, comme le Welwistchia d’Afrique du Sud, constitué de deux grandes feuilles persistantes aplaties sur le sable.

Types morphologiques et biologiques

Dans le désert, certaines plantes n’apparaissent qu’à la suite de pluies et effectuent leur cycle vital très rapidement, en quelques jours ou quelques semaines. Ce sont des plantes herbacées différant peu quant à leurs besoins hydriques des plantes des régions tempérées.

Par contre, d’autres sont vivaces et présentent alors des caractères morphologiques, anatomiques et physiologiques témoignant d’une remarquable adaptation à la sécheresse. Parmi elles se rencontrent des arbres, arbustes ou buissons dont le feuillage caduc, formé de feuilles petites, parfois réduites à des écailles ou à des épines, limite l’évaporation; des plantes grasses dont les tiges emmagasinent des réserves d’eau; des herbacées graminoïdes à tissus fortement sclérifiés, à feuilles enroulées en gouttière.

Leur principal problème, celui de l’eau, est donc résolu en partie par la réduction des surfaces évaporantes et la mise en réserve d’eau; d’autre part, leur approvisionnement en eau est facilité par le développement du système radiculaire.

Les végétaux maintiennent toujours entre eux une certaine distance, qui témoigne d’une rivalité entre les racines pour s’assurer l’accès aux réserves hydriques du sol. Le développement d’un réseau radiculaire horizontal permettant de capter l’eau des pluies et celle des condensations caractérise l’adaptation des plantes au sable. Chez certains Calligonum , Ammodendron et Eremosparton , les racines s’étendent à plus de 30 mètres de l’arbuste. D’autres accèdent à des eaux plus profondes en développant des racines pivotantes parfois fort longues. Ainsi, le Prosopis américain possède des racines s’enfonçant à plus de 30 mètres; cet arbre, qui développe sans cesse de nouvelles racines au-dessus du niveau du sable, a été introduit dans l’Ancien Monde pour stabiliser les dunes. Certains acacias, hauts de 3 mètres, puisent l’eau jusqu’à 35 mètres de profondeur. Enfin, certaines graminées vivaces ont un système radiculaire extrêmement complexe; ainsi Aristida karelini qui peut coloniser les sables mouvants de Kara-Koum.

Plantes à organes aériens éphémères

La rapidité avec laquelle s’effectue tout le cycle vital jusqu’à la fructification est une des caractéristiques des plantes désertiques annuelles, d’où leur nom d’éphémérophytes . Leur précocité se manifeste dès la germination qui, pour la plupart, s’effectue dans les trois premiers jours après la pluie. Ces plantes éphémères prennent une importance particulière dans les semi-déserts, comme les plaines de lœss de l’Asie centrale ou les plaines alluviales d’Amérique, qui se couvrent brusquement d’un tapis verdoyant ininterrompu d’où émergent des fleurs aux couleurs éclatantes. Beaucoup de ces plantes sont des géophytes , c’est-à-dire qu’elles persistent par des organes souterrains qui passent la saison sèche à l’état de vie ralentie; c’est le cas de nombreuses Liliacées bulbeuses. Dans des racines épaisses, des oignons ou des tubercules, la plante emmagasine des réserves et beaucoup d’eau. Un cas extrême est le Bi du Kalahari, en Afrique, dont le tubercule peut renfermer jusqu’à trois litres d’eau.

Toutefois, des caractères identiques se rencontrent chez certaines plantes vivaces comme le pâturin bulbeux (Poa bulbosa ) des déserts de lœss de la Caspienne à la Mongolie; cette Graminée se reproduit uniquement par voie végétative, formant, à la place des graines, des bulbilles qui se développent très rapidement et donnent, aussitôt tombées, une nouvelle touffe.

Plantes à organes aériens pérennes

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Arbres. La plupart des arbres du désert ont de toutes petites feuilles, souvent composées, réduisant ainsi leur dépense en eau par transpiration. Ainsi, le paloverde des plaines alluviales désertiques d’Amérique a des feuilles de un millimètre de large qui tombent en période de sécheresse. C’est alors la réserve de chlorophylle des rameaux (paloverde signifie «tronc vert» en espagnol) qui permet à la plante de survivre. Chez l’ocotillo (Fouquiera splendens ), extrêmement sensible à l’humidité, les feuilles peuvent tomber et renaître plusieurs fois de suite en cas de pluies successives. Certains arbres, comme l’arbre-éléphant de basse Californie, utilisent leur tronc charnu comme réservoir d’eau et assurent ainsi la pérennité de leurs feuilles./DIR

Les acacias sont les arbres les plus communs des déserts saharo-sindiens. Il en subsiste quelques-uns dans les régions les plus sèches. Acacia raddiana , à la silhouette caractéristique en forme de parasol, est le plus communément répandu de la Mauritanie au nord de l’Inde. A. scorpioides , A. seyal , avec une autre Légumineuse, Cassia obovata , et deux jujubiers (Zizyphus lotus et Z. mauritianus ), sont les espèces arborescentes d’une formation végétale riche rencontrée dans les vallées sèches à fond limoneux ou caillouteux de l’ensemble du Sahara. Si la vallée est alimentée en eau ou si des alluvions sableuses retiennent l’humidité, une autre formation arborée se développe, caractérisée par différentes espèces de Tamarix dont certaines supportent une salure assez élevée.
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Buissons. Bien que les arbres ne soient pas absents de la flore désertique, même dans des conditions aussi sévères que celles du Sahara central, les buissons sont tout de même les formes végétales les plus caractéristiques des déserts. Une même espèce peut recouvrir de vastes espaces, comme le creosote bush (Larrea tridentata ) en Amérique du Nord. L’existence d’une véritable lutte biologique entre les plantes a été mise en évidence par la découverte, dans les feuilles d’un capillaire du Mexique, d’une substance chimique capable d’empoisonner les pousses végétales environnantes./DIR

Les buissons du genre Calligonum (Polygonacée), représentés du Sahara à la Mongolie, sont particulièrement typiques des déserts asiatiques, où il en existe plus de quarante espèces. Les saxaouls (Chénopodiacées) sont également très caractéristiques de ces régions où ils sont représentés par deux espèces: le saxaoul blanc, sur sol neutre, et le saxaoul noir, qui préfère les sols salins. Ces buissons perdent leurs feuilles, quand ils en ont, pendant les saisons sèches; beaucoup perdent également les rameaux verdoyants qui, pendant un certain temps, leur ont permis de respirer. C’est un véritable squelette qui vit au ralenti en attendant des conditions plus favorables. Mais que survienne la moindre pluie et les troncs verdissent presque instantanément, et quelques jours après les pousses jaillissent à la bifurcation des rameaux.

Le Sahara compte une trentaine de Chénopodiacées, qui sont en général des plantes buissonnantes. Leurs feuilles se réduisent fréquemment à une gaine entourant la tige, terminée par une pointe coriace, et les rameaux présentent alors un aspect articulé caractéristique. Leurs fruits sont souvent ailés, ce qui facilite la dispersion dans des régions où le vent est un facteur physique très important. C’est à cette famille qu’appartiennent Fredolia aretioides et Haloxylon scoparium , qui sont presque les seules plantes à coloniser les regs sahariens.

Un des caractères fréquemment rencontrés chez les plantes vivaces désertiques est la production d’épines dont on ne connaît pas exactement la signification. Il est remarquable que la proportion de végétaux épineux varie énormément suivant les continents, et c’est incontestablement en Amérique qu’on en trouve le plus grand nombre. Par contre il n’en existe que peu d’espèces dans les déserts australiens, et il est curieux de constater que ces régions sont également dépourvues de grands herbivores, à l’exception du kangourou dont le régime est très spécialisé. Aussi certains auteurs en ont-ils conclu que les épines étaient un moyen de se défendre contre les animaux.

Un autre caractère est l’aspect souvent en boule et en coussinet des plantes buissonnantes, tel le Fredolia aretioides ou «chou-fleur de Bou-Hammama».

Enfin, certaines plantes dites «grasses» se sont adaptées aux conditions désertiques en faisant de véritables réserves d’eau dans leurs tissus. Les plus connues sont les cactus qui, tous originaires du Nouveau Monde, peuvent atteindre des dimensions considérables (15 mètres pour le saguaro mexicain). Leurs racines rayonnent sur de grandes surfaces, à de faibles profondeurs. Souvent plissée en accordéon, leur tige charnue se déplie pour absorber le maximum d’eau et se rétrécit au fur et à mesure que cette réserve s’épuise. Le figuier de Barbarie, qui se répand dans de nombreuses zones arides de l’Ancien Monde, provient du Mexique; il produit des fruits à l’extrémité de ses tiges articulées en forme de raquette et pourvues d’épines impressionnantes.

Dans la strate herbacée, les Graminées jouent un rôle extrêmement important, en particulier les Aristida de la tribu des Stipées: une vingtaine d’espèces rien qu’au Sahara (seize au Tibesti); plusieurs y sont extrêmement communes, dont le drinn (A. pungens ), caractéristique des dunes et des lieux ensablés.

Densité du peuplement végétal

La physionomie du peuplement végétal diffère sensiblement suivant le type du désert. Dans les déserts vrais, le tapis végétal est discontinu; c’est le cas du Sahara central où la végétation se concentre dans les zones les plus favorisées (points d’eau, lits de torrents). Dans les régions où il pleut chaque année, même très peu, la végétation est répartie plus uniformément: elle est alors qualifiée de «diffuse». La composition de la flore est sensiblement la même dans les deux cas; pour un même désert, elle dépend surtout du substrat. En effet, dans certains déserts, la salure du sol est très forte et peu de plantes peuvent y vivre; ce sont surtout des Chénopodiacées tel Halocnemum strobilaceum qui, en Afrique comme en Asie, semblent être les plus résistantes au sel.

Malgré les conditions de vie extrêmement dures, il existe peu de régions abiotiques, c’est-à-dire dépourvues de vie. Ces espaces, relativement restreints, correspondent le plus souvent aux déserts de pierre (gobis en Mongolie, regs au Sahara). Le peu d’eau qui y tombe s’évapore très rapidement et la nature du sol ne favorise pas l’implantation de racines. Dans le Tanezrouft, les regs, généralement nus, constituent avec les plateaux rocheux du Sahara central les milieux les plus pauvres. Mais, sur les regs du Sahara septentrional, plus régulièrement arrosés, une végétation diffuse se développe où domine Haloxylon scoparium (Chénopodiacée utilisée par l’homme comme bois de chauffage), accompagné d’une plante volubile, Pergularia tomentosa , et de quelques végétaux bulbeux. Le chou-fleur de Bou-Hammama (Fredolia aretioides ) peut lui aussi vivre sur les regs durs, où il forme souvent des peuplements étendus, mais clairsemés.

Dès que le reg est ensablé, le tapis végétal, essentiellement constitué d’Aristida (Graminées), devient beaucoup plus dense. Le sable est en effet moins inhospitalier qu’on ne l’imagine, car si l’eau de pluie y est vite absorbée, elle est entraînée en profondeur, échappant ainsi à l’évaporation.

La flore de Phanérogames d’un désert comme le Sahara est très pauvre en espèces: on y trouve selon les régions de 200 à 300 espèces alors qu’il y en a plusieurs milliers dans le Maghreb. Malgré leurs efforts d’adaptation, la réussite de chaque famille est en effet très variable. Des groupes entiers ont ainsi été éliminés sans pouvoir s’adapter. Certaines familles botaniques ont acquis, en revanche, des spécialisations convergentes: les Cactées des régions arides d’Amérique sont remplacées en Afrique par des Euphorbiacées et des Asclépiadacées, à Madagascar par des Didiéréacées; dans les déserts du nord de l’Afrique et dans les déserts d’Asie, ce sont les Chénopodiacées et les Zygophyllacées qui occupent le plus grand nombre de biotopes.

2. La vie animale

La faune des zones arides est dans l’ensemble pauvre en espèces. La plupart des groupes zoologiques terrestres et d’eau douce y sont représentés, mais seulement par des familles, des genres ou des espèces qui ont acquis les moyens de subsister dans ces milieux extrêmes. Leurs adaptations anatomiques sont généralement peu importantes: dimensions relatives des membres chez les gerboises (Jaculus ); pigmentation (insectes noirs ou noir et blanc, mammifères et oiseaux de couleurs claires), écaillure des doigts (chez les lézards) et pilosité développée des soles plantaires des mammifères arénicoles (lièvres, fennec, chat de Margueritte). Les adaptations physiologiques et éco-éthologiques sont beaucoup plus marquées: résistance à la déshydratation ou à la chaleur, adaptation à la faiblesse des ressources alimentaires.

Les espèces représentées dans les zones arides appartiennent, selon les groupes zoologiques, à des familles ou à des genres d’origine tropicale, ou au contraire d’origine tempérée, comme le prouve l’exemple des rongeurs du Sahara. Trois espèces de ces «rats de sable» (genre Meriones ) vivent en Afrique du Nord, toutes trois granivores et nocturnes. M. shawi est lié aux biotopes relativement riches en végétation des plaines et des hauts plateaux, depuis le Maroc jusqu’à l’Égypte; sa répartition est limitée vers le sud par le désert. Plus au sud, M. libycus vit dans les taches de végétation buissonnante, et M. crassus creuse son terrier loin de toute végétation. Les terriers des trois espèces ont un microclimat comparable, l’hygrométrie étant à son maximum et la température moyenne proche de 20 à 25 0C.

La densité de peuplement de M. shawi peut atteindre 10 à 20 individus à l’hectare, mais celle des deux autres espèces est de l’ordre de 1 à 0,1 individu à l’hectare. De ce fait, la rencontre des sexes aux moments favorables à la reproduction ne serait pas possible sans d’extraordinaires spécialisations: remarquable mémoire visuelle permettant des explorations et des retours de plusieurs kilomètres, sensibilité auditive aiguë grâce à l’hypertrophie de leur oreille moyenne, qui leur permet de percevoir à distance les signaux sonores émis par leurs congénères.

Le problème de l’eau

La grande sécheresse des zones arides est due non seulement à la rareté des précipitations, mais aussi à une forte évaporation, ayant pour conséquence une diminution de la quantité d’eau dans les tissus vivants. Si tout animal peut survivre un certain temps au manque de nourriture solide, la privation d’eau, sous une forme ou sous une autre, qui produit une perte de poids relativement faible, l’entraîne rapidement à la mort. Chez la plupart des organismes, une perte d’eau de 10 p. 100 provoque des troubles extrêmement graves; une perte de 12 p. 100 est fatale à l’homme. Mais certains animaux résistent beaucoup plus à la déshydratation; ainsi le poids du chameau peut diminuer de 30 p. 100 pendant les périodes de pénurie d’eau et celui du caméléon de 46 à 47 p. 100.

On distingue généralement plusieurs mécanismes de déshydratation. Le cas le plus typique survient à la suite d’une perte concomitante de sels et d’eau chez un animal actif soumis à une importante sudation. Le remède consiste en un apport rationnel de ces deux éléments pour éviter un déséquilibre osmotique secondaire encore plus grave. À l’évaporation par sudation et, en quantité moins importante, par voie respiratoire s’ajoutent les pertes d’eau rejetée dans l’urine et dans les fèces. Cette eau, l’animal peut la récupérer sous forme d’eau de boisson, d’eau préformée contenue dans les aliments et d’eau métabolique provenant de l’oxydation des aliments. Les animaux désertiques peuvent être classés suivant leur plus ou moins grande dépendance par rapport à l’eau. Certains doivent boire tous les jours, ou au moins de façon régulière. D’autres résistent plusieurs jours sans eau. Les autres enfin ne boivent jamais et se contentent d’une nourriture relativement peu hydratée, telles les graines, dont leur organisme sait extraire suffisamment d’eau métabolique, ou sont au contraire strictement herbivores (cas des Psammomys ).

Animaux strictement dépendants de l’eau libre

Ce sont les grands Mammifères terrestres qui ne peuvent s’écarter très loin des points d’eau. Leur aire de répartition recule à mesure que s’accroît la désertification. Ils ne peuvent en fait être qualifiés de désertiques, puisqu’ils ne supportent pas l’aridité: ce sont les grandes antilopes, les girafes, les rhinocéros, les éléphants, les lions, qui vivaient autrefois à l’emplacement du Sahara actuel et qui se sont retirés dans les zones sahélo-soudaniennes. Certaines espèces pourtant sont restées prisonnières de conditions locales exceptionnelles et vivent encore dans certains massifs montagneux: Patas dans l’Aïr, Cynocéphales du Tibesti.

Les chauves-souris les plus sensibles à la déshydratation habitent les grottes et les puits durant la journée. Les habitations humaines leur apportent souvent l’humidité dont elles ont besoin. Ainsi, une certaine anthropophilie a permis à quelques espèces de Mammifères de s’infiltrer dans des régions désertiques que leurs propres capacités d’adaptation leur interdisaient.

Parmi les Oiseaux, il en existe bien peu qui ne boivent abondamment quand ils en ont l’occasion et certains, bien que typiquement désertiques, ne peuvent se passer d’eau que pendant des périodes relativement courtes. Mais leur puissance et leur rapidité de vol leur permettent de vivre loin des points d’eau, car ils peuvent couvrir chaque jour des distances considérables pour étancher leur soif. Ainsi font les gangas (Pterocles ), qui pondent parfois à 50 km du point d’eau où ils boivent régulièrement. Leurs poussins posent un problème longtemps non résolu; en effet, si dès la sortie de l’œuf ils sont capables de picorer, ils ne peuvent encore accompagner leurs parents jusqu’à l’abreuvoir. De là l’hypothèse, qui s’est révélée tout à fait exacte, suivant laquelle le mâle désaltérerait ses jeunes en leur rapportant de l’eau dans son plumage. Quant aux rapaces désertiques, dont le territoire est immense, on ne sait que peu de chose sur leurs besoins en eau.

Les fortes rosées, fréquentes dans certaines régions sèches où le refroidissement nocturne provoque la condensation de gouttelettes de liquide sur les plantes à poils glanduleux, constituent un apport non négligeable d’eau libre. L’oryx (O. algazel ) les recherche avec empressement à la fin de la nuit. Pour un oiseau, dont la taille est bien moindre, cette rosée représente une source d’eau beaucoup plus importante.

Animaux ne buvant pas régulièrement

Dans cette catégorie se place typiquement le chameau. La légende lui attribue des capacités bien exagérées, mais il est cependant doué d’aptitudes peu communes qui en ont fait l’animal domestique le plus précieux dans les régions désertiques de l’Ancien Monde. On distingue actuellement deux espèces très voisines: le chameau à deux bosses, ou chameau de Bactriane des déserts froids orientaux, qu’on ne trouve pratiquement plus à l’état sauvage, et le dromadaire domestique des déserts du nord de l’Afrique et du Moyen-Orient. D’après les expériences de B. et K. Schmidt-Nielsen, ce dernier animal pourrait rester sans eau jusqu’à dix-sept jours en été, exposé au soleil et au vent, mais sans travailler. Au bout de huit jours, une bête pesant 450 kilos avait perdu 100 kilos. La croyance très répandue suivant laquelle le chameau aurait une réserve d’eau dans l’estomac s’est révélée fausse; en effet, si l’animal assoiffé peut absorber cent litres d’eau en dix minutes, son estomac n’en conserve que cinq à sept litres; il s’agit alors d’un liquide nauséabond constitué en grande partie de sucs digestifs. La bosse ne contient pas d’eau, mais beaucoup de graisse, formant une réserve d’énergie; au fur et à mesure que cette graisse est utilisée par l’organisme, il se forme par oxydation une certaine quantité d’eau qui est aussitôt mise en circulation par le sang.

L’Oryx algazel , antilope de grande taille, actuellement confiné sur une étroite bande située au sud du Sahara, n’est pas un animal vraiment désertique. Il présente cependant une résistance remarquable à la soif et peut vivre presque sans boire en tirant parti des pâturages liés à la mousson soudanaise. Il semble qu’il puisse détecter les points humides et se diriger à l’avance vers les régions atteintes par les pluies, presque toujours localisées.

Parmi les autres grands animaux, les gazelles arabo-africaines (la dama saharo-sahélienne, la dorcade qui vit aussi bien dans les dunes que dans les regs, le rhim ou gazelle blanche, les gazelles à goître, Gazella subgutturosa et G. gutturosa ), les antilopes saïga, les hémiones et chevaux sauvages d’Asie centrale échappent à la disette en se déplaçant continuellement; au cours de ces migrations, ils restent plusieurs jours sans boire; ils n’ont cependant pas les mêmes possibilités de résistance à la soif que le chameau ou l’oryx.

Animaux pouvant se passer d’eau libre

Les animaux capables de ne boire que de façon irrégulière peuvent s’en passer complètement. Quand il pleut, la végétation du désert contient suffisamment d’eau pour assurer les besoins hydriques du chameau et de l’oryx. L’addax, antilope du Sahara méridional, est l’animal des dunes par excellence. Herbivore, il ne prélève des végétaux que certaines parties déterminées, choisissant toujours les pousses les plus tendres et les plantes susceptibles de capter l’humidité nocturne. Il semble que l’addax ne boive jamais, même lorsqu’il ne dispose que de végétaux pauvres en eau.

Parmi les phytophages désertiques qui se contentent d’eau préformée, on peut citer le Psammomys obesus (l’un des rats de sable du Sahara), qui creuse ses terriers au pied des buissons de Chénopodiacées (Traganum , Salsola , Sueda ) dont il se nourrit. Il en consomme 80 p. 100 de son poids par jour et absorbe ainsi près de 2 g d’acide oxalique et 2 g de chlorure de sodium. Son urine est quatre fois plus salée que l’eau de mer. Les Rongeurs peuvent tous se passer de boire quand ils ont à leur disposition des fruits, des bulbes ou des plantes succulentes; ils sont donc bien représentés dans les zones désertiques aussi bien de l’Ancien que du Nouveau Monde. Partout où ils abondent vivent également, grâce à eux, un nombre important d’animaux de proie de petite taille, renards, petits chats, chacals, zorilles, dont ils assurent l’équilibre hydrique en même temps que la nourriture, sans oublier un apport suffisant de sels préformés. Dans le désert d’Australie centrale, ces carnassiers sont remplacés par quelques marsupiaux carnivores et par le chien dingo introduit par l’homme. Comme les Rongeurs, les Reptiles et les Insectes, nombreux dans les régions arides, constituent les premiers maillons d’une chaîne alimentaire où l’économie hydrique est poussée au maximum. Ainsi le criquet, qui se contente de graminées, sera dévoré par un lézard, et le serpent qui mangera le lézard sera peut-être la proie d’un oiseau, l’étape finale étant le mammifère qui pourra saisir l’oiseau. La chaîne est en général beaucoup plus courte. Parmi les Oiseaux, les granivores doivent boire; par contre, le régime insectivore d’un grand nombre d’espèces explique qu’elles n’attachent que peu d’importance aux points d’eau. Par ailleurs, même le moineau blanc (Passer simplex ) et les alouettes les plus granivores (cochevis et calandrelles) ne dédaignent pas un régime varié; l’alouette clot-bey (Ramphocorys clot bey ) peut, dans certains cas, se nourrir de lézards qu’elle coupe en morceaux.

Animaux utilisant uniquement l’eau métabolique

La plupart des rongeurs désertiques, comme Gerbillus gerbillus et Meriones libycus du Sahara, non seulement ne boivent jamais, mais peuvent être conservés en captivité sans perdre de poids avec une nourriture sèche ne contenant que 10 p. 100 d’eau et dans une humidité relative très inférieure à 50 p. 100. B. Schmidt-Nielsen (1954) a constaté les mêmes capacités chez Dipodomys agilis , le rat-kangourou des déserts américains qui ressemble beaucoup à la gerboise de l’Ancien Monde. Cependant, ces animaux contiennent autant d’eau que les autres Mammifères et, comme eux, en perdent continuellement en respirant et en urinant. Cette eau provient presque exclusivement de l’oxydation des aliments par l’organisme. Un apport aussi limité suffit si l’alimentation n’est pas trop riche en protéines, corps provoquant la formation d’une grande quantité de déchets azotés.

Cet apport, si faible, ne peut être compensé que par des mécanismes spéciaux d’économie d’eau. Ces Rongeurs ne perdent par évaporation que la moitié de la quantité d’eau perdue par un rat (Rattus norvegicus ). Ils ne forment que peu d’urine, très concentrée, et leurs excréments sont extrêmement secs. Ces procédés d’économie se retrouvent chez beaucoup d’animaux des régions arides et constituent l’essentiel de l’adaptation physiologique à la raréfaction de l’eau.

La vie nocturne y joue également un rôle, de même que l’enfouissement pendant la journée ou pendant les périodes les plus sèches de l’année: le rat-kangourou bouche le terrier où il se réfugie le jour et où sa respiration maintient une certaine humidité; parmi les rares Amphibiens des régions semi-arides, Scaphiobus hammondi et S. couchi réduisent leurs pertes d’eau pendant leur sommeil en tapissant leur terrier d’une couche gélatineuse. Mais la vie endogée joue également un rôle protecteur contre l’hyperthermie et la trop forte luminosité; il est en effet difficile de dissocier ces problèmes.

Les effets de l’insolation

Les déserts reçoivent 90 p. 100 des radiations solaires, 10 p. 100 seulement étant réfléchies par la poussière de l’atmosphère, alors que dans les régions humides, outre ces 10 p. 100, 20 p. 100 sont détournés par des nuages et au moins 30 p. 100 par la végétation et par réflexion sur les étendues d’eau. Dans les radiations solaires, trois facteurs sont difficiles à dissocier: un facteur thermique, un facteur chimique et un facteur lumineux. Les effets de la chaleur sont les plus évidents sur la faune; la température présente un double caractère: elle peut atteindre des pointes particulièrement hautes (c’est à Azizia, dans le Sahara oriental, que fut enregistrée la température la plus élevée du monde: 58 0C à l’ombre) et des écarts considérables entre les maximums et les minimums, non seulement d’une saison à l’autre, mais même entre le jour et la nuit. L’amplitude de variation entre les températures diurnes et nocturnes est le plus souvent voisine de 20 0C. Il s’agit évidemment de la température de l’air, celle de la surface du sol, exposée au soleil, pouvant s’élever à 80 0C pendant la journée et redescendre à 20 0C au cours de la nuit. Ces températures au niveau du sol qui agissent par réflexion et conduction ne sont pas compatibles avec la vie animale. Des animaux typiquement désertiques exposés en plein soleil aux heures chaudes de la journée meurent rapidement. Tous les animaux «à sang chaud» sont pourvus d’organes régulateurs qui leur permettent de maintenir leur température corporelle à un niveau normal voisin de 37 à 40 0C, température qui ne peut s’élever de plus de 2 à 3 degrés sans provoquer des troubles graves et irréversibles. Exposé au soleil, l’organisme de l’animal lutte contre l’élévation de température en transpirant (quand la présence de glandes sudoripares le lui permet) et en haletant, ce qui produit un certain refroidissement par évaporation pulmonaire. Aux approches de la température létale (42 à 43 0C pour le rat-kangourou, par exemple), il se produit une abondante sécrétion de salive qui mouille la partie antérieure de l’animal. Le chameau, bien qu’il possède lui aussi un mécanisme de thermorégulation, présente également des variations de température interne lui permettant d’économiser l’eau: sa température peut s’élever jusqu’à 41 0C sans que l’animal lutte en transpirant ou haletant pour la maintenir plus basse; de même, il cède de la chaleur pendant la nuit, et le matin sa température est de 34 0C seulement. Les espèces poïkilothermes, dites «à sang froid», supportent de plus grandes variations, mais il existe pour elles aussi des températures létales: entre 39 et 51 0C pour les lézards, 50 et 56 0C pour les insectes.

En volant, certains animaux peuvent se soustraire à la chaleur par conduction: les sauterelles s’envolent toutes les quatre minutes quand le sol atteint 52 0C. Le perchage joue aussi un rôle très important dans la lutte contre la chaleur. La différence de température entre le sol et l’air est de 15 à 20 0C environ, et un lézard, qui ne semble pas indisposé par une température de 40 0C, peut mourir en deux minutes si on le place sur le sol.

Le mode de vie nocturne de la plupart des animaux du désert leur permet d’échapper aux chaleurs létales qui y règnent pendant le jour. La preuve en est que de nombreux Insectes, certains lézards et serpents et quelques Rongeurs inversent leur cyle pendant l’hiver. Dans la région aralo-caspienne, comme en Mongolie, les animaux quittent leurs abris au milieu de la journée dès le début de janvier, et leur présence permet à plusieurs espèces d’Oiseaux insectivores ou prédateurs de rester sur place pendant l’hiver.

La faculté qu’ont certains petits Mammifères ou Reptiles de tomber en léthargie pendant les périodes les plus chaudes et les plus sèches de l’année contribue à leur maintien dans les déserts. Ce sommeil pendant la saison chaude se nomme estivation et présente les mêmes caractères que l’hibernation: la température interne s’abaisse, le métabolisme se ralentit et certaines glandes endocrines marquent une nette involution. Certains petits herbivores, dont le cycle vital est strictement dépendant de la période de végétation, ne survivent que grâce à cette faculté. C’est ainsi que la tortue terrestre (Testudo horsfieldi ) et le souslik jaune (Citellus fulvus ), qui ne disposent des plantes éphémères dont ils se nourrissent que pendant trois mois, tombent en léthargie tout le reste de l’année.

La réaction la plus fréquente est celle qui incite certaines espèces à mener une vie endogée, car la terre est un excellent isolant thermique. On a noté, pour une température du sol de 44 0C, 26 0C à 5 cm de profondeur et 12,5 0C à 10 cm dans une terre cultivable aux environs du Caire; dans un terrier de mérion, Meriones libycus , F. Petter a enregistré 15-20 0C pour 10 à 24 0C hors du terrier, le jour, en hiver au Sahara. L’utilisation d’un abri souterrain s’observe non seulement pour des espèces normalement fouisseuses, mais chez certaines qui, ailleurs, se contentent d’un abri à la surface du sol. Ainsi le lièvre, qui gîte dans une simple dépression lorsqu’il est abrité du soleil par la végétation, creuse dans les sables des déserts découverts d’Asie centrale de véritables terriers. Il en est de même de certains Oiseaux comme le traquet à tête grise (Œnanthe moesta ), qui s’enfonce quelquefois à plus d’un mètre sous terre dans des terriers empruntés à de petits Mammifères.

La plupart des animaux échappent aux facteurs du milieu, chaleur, luminosité, sécheresse, par leur propre comportement. La vie dans les terriers, qu’elle soit due à une réaction de défense ou à un stéréotropisme, fournit une chance optimale de survie dans les zones arides ou désertiques.

3. L’homme dans le désert

L’homme n’est pas adapté au désert: abandonné sans eau par une chaleur de 50 0C, il mourra en une journée ou deux; même s’il bénéficie de trois litres d’eau par jour, il ne pourra survivre plus d’une semaine. Pourtant, toutes les grandes zones désertiques du globe sont peuplées par l’homme depuis la préhistoire et toutes les races y sont représentées. Les différences observées entre les populations du désert concernent surtout les techniques d’adaptation aux conditions climatiques. Il est certain qu’une peau fortement pigmentée donne une meilleure protection contre les rayons solaires ultraviolets, mais les individus à la peau légèrement pigmentée supportent bien la vie en pays chauds s’ils évitent une exposition trop directe au soleil. Le corps humain peut aussi effectuer quelques corrections physiologiques lors de son acclimatation: les glandes sudoripares diminuent leur sécrétion, les reins ralentissent la perte des sels; mais aucun mécanisme ne peut réellement empêcher la perte de l’eau.

Les genres de vie

Les besoins en eau d’un homme travaillant dans le désert s’élèvent à neuf litres par jour, utilisés pour la cuisine et la boisson. La recherche continuelle de l’eau a obligé les habitants à vivre en nomades, mais leurs accoutumances particulières ont donné lieu à une certaine diversité de modes de vie. Les tribus les plus primitives pratiquent des formes anciennes de nomadisme: la chasse et la cueillette.

Ainsi les Bindibus errent nus, par petits groupes, à travers d’immenses régions dans le centre et l’ouest de l’Australie; leurs déplacements dépendent des pluies; ils ne possèdent presque pas d’outils et exploitent au jour le jour les maigres ressources du désert. Mais ce genre de vie ne peut être adopté que dans des régions assez giboyeuses ou relativement fertiles, et s’il fut jadis pratiqué au Sahara c’est que ce désert n’était pas aussi rigoureux qu’il l’est à présent. Les Boschimans, réfugiés dans le Kalahari après la colonisation européenne, se déplacent eux aussi par petites troupes partageant eau et nourriture, mais chaque troupe possède un territoire de chasse bien défini, où la raréfaction du gibier met leur existence même en danger. Parmi les tubercules qu’ils déterrent, celui du Bi est extrêmement recherché en raison de sa richesse en eau.

Les plantes sauvages continuent à tenir une place importante dans l’alimentation de nombreuses tribus du désert, mais la cueillette est laissée aux femmes, les hommes s’occupant surtout des troupeaux de chevaux, de chameaux, d’ânes, de lamas ou de yacks, suivant les régions. Le transport, la nourriture, le cuir et la laine leur sont ainsi assurés, de même que le commerce. Le nomade pasteur exploite les pâturages naturels et, ne constituant pas de réserve de fourrage, il devra effectuer les mêmes déplacements saisonniers que les animaux sauvages.

Les transports commerciaux occasionnent de grands déplacements, qui rassemblent en caravanes un grand nombre d’hommes et d’animaux. Le commerce caravanier saharien du sel, pratiqué par les Touaregs, est encore important, car l’Afrique occidentale manque de sel; or, nous l’avons vu, les besoins en sel de tout être vivant en pays chaud sont considérables. C’est ainsi qu’au printemps et à l’automne, de grandes caravanes appelées azalaï (rassemblement de chameaux) se rendent aux salines du Sahara central pour échanger le mil contre le sel. Mais le commerce le plus largement diffusé à travers le désert saharo-sindien est longtemps resté celui des esclaves.

À toutes ces activités, élevage, négoce et caravane, les nomades ajoutent parfois la culture, mais dans des conditions très particulières. Ils peuvent posséder des palmiers dans une oasis qu’un métayer (autrefois un esclave) entretient à leur place. Certains même se servent de la charrue et sèment blé, orge ou pastèques quand les oueds ont coulé, mais il ne s’agit pas d’un travail régulier et ils peuvent rester plusieurs années sans semer.

De cette absence de véritable culture résulte l’absence de maison, mais les pasteurs nomades ne vivent pas dans l’état de dénuement des Bindibus et des Boschimans. Leurs vêtements et leurs tentes, de types différents suivant les groupes ethniques, les protègent des facteurs climatiques.

Le rôle devenu plus important des frontières, la «pacification» des tribus guerrières et la concurrence des camions ont beaucoup contribué à la sédentarisation des nomades, qui reste cependant un phénomène assez lent; toutefois, elle peut croître brusquement dans les zones périphériques de steppe à l’occasion d’une crise économique ou d’une modification du système d’élevage. Pour beaucoup de nomades, humiliés dans leur orgueil de classe et, dans l’ensemble, appauvris, l’abandon de la vie pastorale s’accompagne d’un chômage total. Mais certains, en se fixant dans les oasis, s’initient très rapidement à la culture et apprennent l’irrigation. Ceux-là comprennent que seule la vie sédentaire permettra à leurs enfants de s’instruire.

Mise en valeur

On ne peut plus nier, actuellement, le rôle de l’homme dans la formation de certains déserts. La culture intensive et le déboisement exposent le sol à l’érosion. Quand la productivité des terrains plats, puis des pentes, est détruite, l’homme remplace la culture par l’élevage du gros bétail. Puis les bergers nomades, avec leurs chèvres et leurs moutons, achèvent la dégradation d’une région qui fut fertile. C’est ainsi que le Néguev, négligé pendant douze siècles, devint un désert. Dans les régions semi-arides, dernières étapes dans le processus de dégradation progressive avant la destruction totale de la végétation et de la couche de terre fertile, l’utilisation extrêmement extensive du milieu correspond très bien à sa pauvreté. Mais les gouvernements sont amenés à intervenir dans cette utilisation primaire lors des plans de mise, ou de remise en valeur de certaines contrées déshéritées, car, pour reconstituer la couverture végétale, il faut avant tout la protéger contre les troupeaux.

L’irrigation joue un rôle essentiel dans toute mise en valeur de régions arides. Un des exemples les plus spectaculaires de la transformation d’un pays désertique grâce à l’irrigation reste l’Imperial Valley dans le désert de Sonora, aux États-Unis, où l’eau du Colorado a été détournée. Dans ce paradis de l’agriculture, la richesse du sol en minéraux et un ensoleillement permanent s’ajoutent à l’irrigation pour fournir des rendements remarquablement élevés. Là où la culture est rendue possible, il faut acclimater toutes sortes de végétaux et les essais pratiqués portent sur 65 000 variétés. La luzerne (Medicago sativa ), plante fourragère, a rencontré un grand succès dans de nombreuses régions nouvellement irriguées, avant d’être remplacée par du coton en raison des possibilités de vente de ce produit. Mais il ne faut jamais perdre de vue la fragilité des sols désertiques, dont l’érosion peut être accélérée par la culture de plantes qui ne leur sont pas adaptées.

Dans certaines régions, la mise en valeur à l’aide de barrages vient s’ajouter à l’exploitation par des moyens traditionnels. En Égypte, les grands barrages, comme celui d’Assouan, ont permis d’obtenir une troisième récolte. Dans le nord-est de l’Inde, les barrages ont amélioré l’exploitation de contrées déjà irriguées par un système de canaux très anciens; ils ont aussi permis la mise en culture de nouvelles terres (7 600 km2 dans la vallée de Ihélam grâce à 6 090 km de canaux). Mais l’irrigation d’un désert est un travail délicat, car il faut prévoir les crues et le drainage des eaux en aval. En Irak, de telles prévisions ayant été négligées, l’eau, en stagnant et en s’évaporant, a abandonné ses sels minéraux qui ont stérilisé le sol.

L’utilisation, pour l’irrigation, des nappes d’eau souterraine se pratique depuis des siècles. Au Sahara, le pompage se faisait au moyen de foggaras , galeries souterraines conduisant l’eau de la nappe vers la surface à irriguer, éloignée parfois de plusieurs kilomètres et située à un niveau inférieur. Sur la côte pacifique du Pérou, les Indiens, qui avaient construit des centaines de kilomètres de canaux pour amener l’eau de la cordillère des Andes, savaient aussi exploiter les ressources d’eau souterraine. Le creusement de puits artésiens est à la base de la mise en valeur moderne de beaucoup de régions désertiques (culture commerciale du palmier au Sahara). Mais le creusement inconsidéré de nouveaux puits a entraîné une série de désastres: l’oasis de Ghaman a été ruinée par le forage de Sidi Rached, qui fut asséché par le développement de Tamema, lequel dépérit à son tour au profit de Sidi Amram. En effet, les nappes d’eau souterraine s’épuisent sans pouvoir se renouveler, et, quand les plans de mise en valeur sont basés uniquement sur le forage de puits, l’exploitation ne peut être envisagée que pour une courte durée. On peut se demander si cette forme d’exploitation peut être considérée comme un progrès pour l’agriculture.

La seule source d’eau inépuisable est l’Océan. Dans les pays du Golfe, la mise en valeur des déserts fait des progrès considérables. En effet, beaucoup de déserts sont littoraux, comme ceux d’Arabie, du Chili et du Pérou où il faut paradoxalement amener l’eau depuis le versant continental des Andes alors que la mer est toute proche.

Des expériences entreprises depuis plusieurs décennies, notamment en Israël, ont montré qu’il était possible d’utiliser des eaux salées, ou saumâtres (de 10 à 13 grammes par litre), pour l’irrigation de certaines cultures; ne s’y prêtent, toutefois, que des sols sableux, dont la texture, à l’inverse de celle des sols argileux, s’oppose à la fixation des sels dissous et permet leur lessivage rapide.

Le problème de l’énergie électrique dans les régions arides est également très important, car elle est nécessaire au pompage de l’eau et aux travaux agricoles ou domestiques. Celui du combustible est toujours aigu dans ces régions malgré la faible densité de la population; les branches mortes de Prosopis , enfouies dans le sable, fournissent un bois de chauffage très apprécié. Mais la transformation en bois de chauffage des arbres et arbustes représente un véritable danger pour la végétation; pour cette raison, les derniers acacias du Hoggar et du Tassili-n-Ajjer périssent sous la hache des nomades. L’énergie éolienne, utilisée directement ou transformée en électricité, a déjà permis de réduire le travail des animaux, dont l’entretien nécessite des cultures fourragères qui ont pu être remplacées par des cultures alimentaires. L’énergie solaire progresse régulièrement dans ses applications domestiques, notamment pour le pompage de l’eau.

Une des grandes richesses du désert reste celle des gisements miniers: argent dans le nord du Mexique, cuivre dans le Nevada, diamants en Afrique du Sud, fer dans le Sahara. Dans certains bassins désertiques, des minéraux enfouis sous forme de composés solubles, comme le sel, le gypse, le borax, les nitrates et les phosphates, représentent une valeur minière importante. C’est le pétrole qui a provoqué l’installation des communautés les plus récentes dans les régions arides et en particulier au Moyen-Orient et en Arabie. Des villes se sont créées, qui contrastent avec les vieilles cités arabes, et aux manœuvres indigènes sont venus se joindre les ouvriers spécialisés d’autres pays. Mais les richesses pétrolières ont peu modifié les conditions d’existence des populations autochtones, car, en raison de la structure traditionnelle de la société, seules les grandes familles féodales ont touché les redevances des grandes compagnies.

Si l’homme peut s’enrichir dans le désert, il n’a pas le droit d’oublier, à une époque où la population du globe s’accroît «dangereusement», quelle perte de ressources alimentaires pour l’espèce humaine représentent les surfaces dénudées des régions arides. Même dans nos pays au climat tempéré, l’homme ne devrait pas arracher un seul arbre sans envisager l’avenir et se demander s’il ne contribue pas ainsi à accélérer le processus irréversible qu’est la désertification.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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